Tuesday, March 07, 2006

CONTRE L'EMBARGO DEMANDE PAR ARISTIDE AVANT 94

CHOISIR ENTRE HAÏTI ET L'EMBARGO


Nageant sur une mer d'indifférence, une belle unanimité entoure chez les commentateurs français l'idée d'un blocus d'Haïti pour accélérer le retour du président Aristide. Par bien des aspects, cet embargo est pourtant un crime tranquille, dont l'examen froid et attentif devrait passionner ceux qui ne prennent pas pour argent comptant les discours américains sur le "nouvel ordre mondial".

Au départ, cette idée d'un blocus décidé par la communauté internationale contre un petit pays qui n'agresse personne devrait pourtant faire tomber de leur siège les lecteurs de journaux. Elle n'a guère de précédents. A-t'on pensé que les soubresauts de la politique intérieure de cette nation étaient annonciateurs d'un mauvais usage d'armes qu'elle allait ensuite tourner vers ses voisins? Que Nenni, Haïti n'est ni l'Iran, ni l'Irak, pas même le Kazakhstan, et son unique voisin, St Domingue, est peut-être son seul allié. A-t'on alors compulsé les listings d'Amnesty International et dans un grand élan de pureté politique décidé de débarrasser la terre de tous les régimes indignes des conceptions élevées prônées par l'ONU? Pas davantage, à ce qu'il parait, et aucune mesure de cet ordre ne semble envisagée à l'encontre de la dizaine de pays africains qui bafouent en permanence les droits de l'homme, pas plus que l'on entend parler d'un blocus de la Birmanie. Alors, pourquoi Haïti?

Avant d'aller plus avant dans l'examen des causes de cette politique, arrêtons-nous un instant sur ses conséquences. Dans un pays comme le mien, Haïti le blocage des flux d'échanges internationaux, commencé voici (deux ans?) et qu'il s'agirait aujourd'hui de durcir touche en priorité cette vague classe moyenne, dont on sait que la constitution est si précieuse pour un pays en voie de développement. Le paysan haïtien, s'il souffre des restrictions dans les transports notamment, et pour certains engrais, peut supporter relativement bien la pénurie de biens industriels et n'est qu'un usager très modéré des services urbains. A l'autre extrémité de la société, la très mince couche de privilégiés, souvent double-nationaux, titulaires de passeports américain, français ou canadiens, dispose de maints moyens pour s'adapter à cette nouvelle situation, à commencer par l'usage des transports aériens. Entre les deux, commerçants, médecins, intellectuels, fonctionnaires des services publics, salariés de Port-au-Prince, tous prennent de plein fouet cet embargo. Combien de vies humaines a-t-il déjà coûté dans les hôpitaux qui manquent de tout? Est-ce là le nouveau visage de la politique des "droits de l'homme"?

Cette "real politik" humanitaire est certes au service d'une idée forte, le retour au pouvoir d'un dirigeant démocratiquement élu. Et Haïti a besoin de dirigeants démocratiquement élus. Mais quelles contradictions dans les moyens utilisés! Le dirigeant démocratique demandant un blocus dont sera victime son propre peuple. Un pouvoir non-démocratique que l'on tente de convaincre en le rendant témoin de la misère qui s'aggrave par le fait d'une décision internationale. Le croit-on donc sensible à cette misère?

Cet embargo "total et intégral" n'affectera que le "petit peuple" dont tout le monde défend les intérêts. Seul ce "petit peuple", celui des bidonvilles qui encerclent la capitale et ses quartiers bourgeois en pâtira, les autres, les "bourgeois" qui "sont-contre-la-démocratie" auront vite fait de payer même très cher un billet d'avion pour regagner leur résidence secondaire à Miami, au Venezuela ou en République Dominicaine.
On n'a jamais vu un gouvernement abdiquer au nom d'un peuple affamé. Tout comme un peuple au ventre vide et la main tendue n'a jamais trouvé la force d'affronter les mitraillettes pour renverser un dirigeant ..."embargué". Le droit à l'ingérence ne se retrouve pas vraiment dans l'embargo tel que pratiqué. L'embargo -ce siège version bonne conscience- se tient à la porte et regarde crever les bras croisés. C'est là son unique action. Au compte-gouttes les vivres, les médicaments et la mort lente et sûre d'une population, que ses dirigeants saignaient déjà sans doute, mais qui se retrouve avec l'embargo traquée de toute part. On ne dira jamais assez que l'embargo ne touche pas les riches ou les moins riches. Il n'affame que ceux-là mêmes qu'il prétend sauver.


Mais ce qui se passe en Haïti est grave également pour le reste du monde. Certains commentateurs se sont empressés de se réjouir de "l'impuissance américaine", à la vue d'un navire rebroussant chemin devant quelques centaines de manifestants armés plus de machettes que de M16. Mais c'est au contraire de la toute-puissance américaine qu'il s'agit. La France envoyant une fois de plus ses pauvres forces faire de la figuration dans cette affaire, pour aider au blocus du seul pays francophone de la zone s'est couverte d'un ridicule (boum, boum badaboum, nous voilà) qui perd lui-même de la grandeur, au moment où les trompettes d'un sommet de la francophonie sonnaient la charge contre le Gatt. Car rien de ce qui se passe en ce moment aux Caraïbes n'échappe à une dimension de politique intérieure américaine. La Diaspora haïtienne, très localisée à New-York et en Floride, a été une des cibles du marketing politique du président Clinton.

L'un des thèmes de la campagne du Président américain, Bill Clinton était le rétablissement au pouvoir du président élu haïtien Jean-Bertrand Aristide. Sachant qu'il y a près d'un million d'haïtiens-américains aux Etats-Unis et qu'ils constituent un des nombreux groupes de pression de ce pays. A cette diaspora fascinée par l'exil, même lorsqu'elle est partie comme étudiant ou comme touriste, Clinton a préféré sacrifier ses propres Noirs-américains. Nombreuses sont les diasporas qui rêvent de diriger un pays de l'extérieur, bien à l'abri. Et avec les honneurs de la gloire. Les Etats-Unis n'ont plus envie de s'embourber dans des histoires haïtiennes. Si l'envie leur en prenait de débarquer ils bombarderaient comme à Panama tout ce qui bouge et mettraient au pas un pays qui n'est pas même la fameuse "troisième armée du monde" de la dernière "guerre mondiale T.V.". Si Cuba était encore dangereux et si l'affaire Somalie n'existait pas ce n'est pas, pour reprendre un hebdomadaire, avec leurs « gourdins » que les Haïtiens auraient fait repartir les maîtres du monde. Ils peuvent également aider les Dominicains à envahir prétextant une quelconque insécurité de frontière, l'occasion serait excellente pour la République Dominicaine qui n'a pas oublié les vingt-et-une années de régression que lui ont valu son occupation par les Haïtiens sous Boyer. Mais plus fins que cela, ils préfèrent nous vassaliser en profitant de l'embargo. Et l'on ne parlera plus que l'espagnol et l'américain. La bouche parle la langue qui la nourrit.

Pris au piège de certaines promesses voyantes mais intenables, Bill Clinton a dû soutenir l'idée de tout mettre en oeuvre pour assurer le retour au pouvoir d'un homme qui n'avait pas ménagé les Américains dans la première partie de sa carrière. Et qui se trouve lui-même pris au piège de devoir désormais une part de sa légitimité politique à une intervention extérieure. Car telle est désormais, pour longtemps, la véritable ligne de partage entre les différents camps de la vie haïtienne. D'un côté ceux qui prônent une solution "nationale", de droite, régressive et répressive, fondée sur la religion et la paysannerie - c'était la politique de Duvalier père-, ou de gauche - celle d'Aristide première manière -, fondée sur le rejet des investissements internationaux et l'exaltation d'une "pureté" haïtienne, s'élevant en particulier contre le néocolonialisme de la coopération internationale. De l'autre côté, les partisans de l'ouverture, qui signifie n'en doutons pas, l'intégration dans l'orbite économique et culturelle américaine. Là encore cette position admet deux variantes, selon qu'elle met l'accent sur les aspects "formels", c'est-à-dire la démocratie et les droits de l'homme, ou sur les aspects économiques, liberté d'établissement des capitaux étrangers surtout, c'était la politique de Duvalier fils. En ce sens n’ayons pas peur des mots Aristide (le premier du moins) est plus rétrograde que Jean-Claude Duvalier

Le refuge américain d'Aristide l'a contraint à inverser sa position face à cette grande ligne de fracture qui traverse Haïti, ce qui peut produire le pire comme le meilleur. Le pire s'il ne représente plus rien que la prolongation de son propre pouvoir, où il retrouvera la pesanteur terrible de la répression comme seul instrument durable, spirale qu'il a déjà connue à la veille de son départ forcé. Un Aristide soutenu par les Américains et une fraction des grands commerçants pourra-t-il toujours enflammer les foules des bidonvilles? A l'inverse, le meilleur est possible si une synthèse s'opère entre ces deux tendances qui travaillent Haïti, celle de la tradition et celle de l'ouverture. Mais toujours il restera que c'est l'Amérique qui a transformé le président, et que son retour n'aura été possible que par cette épreuve injuste infligée à ceux au nom de qui on se bat.

Les Haïtiens aiment à répéter que leur pays n'a de petit que la superficie, mais qu'il est grand par sa complexité. Le problème haïtien vu de l'intérieur ne peut pas se réduire à un affrontement entre l'incarnation vivante de la démocratie Aristide, bénéficiant de vertus messianiques, venant sauver le petit peuple et amenant le Bien dans ses bagages, contre les (néo)duvaliéristes représentant le Mal, présent dans chaque bourgeois mulâtre ou noir. On devient "duvaliériste" dès qu'on déplaît à son voisin, tout comme en 48 on était collabo pour ce même voisin. Sauf à l'en accuser d'abord. Il y a actuellement en Haïti autant de bourgeois "aristidiens" que de petit peuple "anti-aristide". Tout comme en 57 on était macoute, aujourd'hui on se fait "attaché" parce qu'on a faim, que l'on peur, et que l'on recherche un moyen de puissance pouvant nous protéger des autres. Tout comme en 57, on paye un petit groupe de chômeurs-vandales pour piller la trop belle maison du voisin, le magasin mieux achalandé d'un autre, pour incendier son usine ou sa station de radio. Depuis toujours on ne possède rien en Haïti sans être double-national, américain, français, canadien. Depuis toujours la prospérité de l'autre (et l'on est vite prospère vu la comparaison) attise l'envie et la délation qui suit. "Il faut mieux passer pour fou que pour candidat à la présidence". Une marchande qui vend trop bien avec son petit étal de rue, ou au marché fait des envieux et se retrouve "opposant" accusée d'être soit lavalas, soit macoute. En 57 on était "kamokin". Aujourd'hui on est "duvaliériste". Juste retour des choses? Mais on sera toujours la brebis d'un loup, et il en ressort qu'il vaut mieux s'attaquer aux faibles des quartiers populeux qui n'auront pas acheté d'armes à Miami. En 57, le pays entier applaudissait François Duvalier, tout comme il semble applaudir Jean-Bertrand Aristide. Et Duvalier aussi a fait sa "révolution" pour nos « frères de l'arrière-pays". Nombreux étaient les gens crédibles et bien intentionnés qui le suivirent alors. Et quittèrent les rangs, se rendant compte de ce que voulait l'homme. Mais il y avait le communisme et il donnait des gages aux Américains qui faisaient tout à l'époque pour contrer Moscou et éviter un nouveau Cuba.

Le président élu a commencé sa campagne en dénigrant le grand méchant loup américain qui affamait la petite Haïti, avec des arguments communautaires, qui pour ce pays intrinsèquement de droite, faisaient figure de communistes. Avant son exil le président élu voyait une Haïti forte, fière de ses traditions et rêvant de reconquérir son lustre passé quand Simon Bolivar ou José Marti venaient consulter leurs pairs haïtiens pour l'indépendance de leur pays, une Haïti libre de ses mouvements face aux Etats-Unis. Obligé de changer d'avis par un "coup d’état" survenu après un discours vantant l'odeur agréable dégagée du "bel outil" qu'est le "père-Lebrun", le président élu appelle la communauté nationale et les Américains en particulier à le rétablir à tout prix au pouvoir quitte à ce qu'il ne reste plus aucun haïtien ni macoute, ni lavalassien pour l'accueillir. La politique c'est comme un iceberg. Ce qu'on en voit n'est que le dixième de ce qui nous reste caché. On est pris d'un sentiment étrange à voir quelqu'un réclamer un embargo "total et intégral" contre son propre pays. En attendant qu'il rentre le ressusciter des morts. Le Vatican a été seul a reconnaître le gouvernement post-aristidien? Quand on a eu son ambassadeur agressé, blessé à la tête et contraint de fuir en sous-vêtements pour sauver sa peau (le spectacle peut faire mourir de rire un amateur de comique), on est enclin à reconnaître après même un gouvernement de singes. C'est peut-être ce qu'a fait Rome. On n'a pas besoin de communier les dimanches pour comprendre cela. D'autres auraient bombardé des civils. En exigeant la bénédiction ou la compréhension de tous les grands pays du monde. L'Eglise en Haïti est aussi divisée qu'ailleurs, certains prêtres s'impliquent dans la vie, défendent les petits, c'est là en principe son b-a ba, d'autres se contentent de pontifier sans faire de politique. Comme si c'en était pas déjà une de n'en faire pas. Mais si l'on est d'accord qu'il existe des ambassades, autant les respecter. François Duvalier aussi en son temps avait eu maille à partir avec l'église et il avait exiler les prêtres du Saint-Esprit coupables entre autres d'inscrire Marx à leur programme de philosophie.

Haïti au nord-est, est séparée de Cuba par le Passage du Vent, le Môle St-Nicolas était réservé par les Américains pour remplacer Guantanamo à l'expiration de leur bail. C'était là l'unique intérêt de cette république, pauvre, endettée, orgueilleuse et insoumise. Avec la disparition de l'URSS, il n'y plus de contre-pouvoir et partant plus aucune raison de s'embarrasser de ce qui n'est qu'un fardeau. La politique ne connaît pas l'humanisme. On ne devrait pas les mélanger. Les Russes ont abandonné Cuba comme ils ont applaudi au dernier bombardement de Bagdad parce qu'ils ont à leur tour besoin des Américains. Ces derniers n'ont jamais été autant maîtres du monde qu'à ce moment de leur histoire où ils ont tant besoin d'eux-mêmes.

Pourquoi s'acharner en Haïti à vouloir remettre au pouvoir quelqu'un même élu. Ailleurs, d'autres l'ont été et chassés depuis et nul ne les soutient maintenant qu'ils en sont réduits à jouer les bandits de grands chemins. Z. Ghamsakourdia a été chassé "parce qu'il se comportait en dictateur" juste après la dictature. Et avec toute la sympathie qu'il m'inspire, un excellent ministre des Affaires étrangères ne fait pas forcément un bon président, surtout quand il n'est pas aidé par des voisins qui du reste ont d'autres chiens à fouetter et prennent plaisir à l’humilier. Un garrot gardé trop longtemps s'enlève progressivement. Il faut sortir progressivement de trente, quarante, cinquante ans de dictature. Autrement on court à l'hémorragie démocratique et l'on se retrouve regrettant le doux temps de papa-dictateur. Qu'il fut de droite ou de gauche.

Il y a chez certains un empressement quasi servile a suivre la moindre initiative américaine. A moins que ce ne soit une absence d'intérêt. Auquel cas on le dit et l'on ne fait rien. La démocratie, voilà une préoccupation de ventre plein. Pour l'heure, le problème d'Haïti n'est pas de manger, mais de moins mourir de faim, pas d'écrire des livres, mais d'apprendre à lire et de faire que ses enfants ne se fassent pas "macoutes" ou "attachés" ou prostitués(es) de 9 ans pour nourrir leur famille. Des médecins (femmes d'accord) pleurent encore après treize ans de métier de voir mourir des bébés, faute de sérum, de coton et de toile à gaze. Avec l'embargo les produits de première nécessité seront détournés et vendus aussi chers que la "tête d'un nègre"(expression haïtienne). L'Haïtien aime la France de façon quasiment atavique. Même lorsqu'il n'a pas été à l'école, qu'il ne sait pas que le pays fut d'abord une colonie française et qu'il a pris son indépendance en 1804. Vous êtes français? On sourit et les prix baissent pour vous au marché en plein air. Et tout le monde est plus ou moins fier d'arborer des français parmi ses amis. A créole égal, l'Haïtien anglophone nourrit un sentiment d'infériorité diffus à l'égard de celui qui s'exprime avec aisance en Français. Et rien n'irrite autant le "petit peuple" que de prétendre qu'il ne comprend pas le français, même contre toute évidence. C'est un tout petit peuple de six millions d'habitants, cela suffit-il pour cracher dessus. On ne donne pas en pâture l'unique pays de la-grande-famille-francophone de la zone (Washington laisserait-il Paris assiéger Porto-Rico?). Mais on proposera au Américains d'installer même de force un gouvernement de coalition civilo-militaire, on mettra aux pas et lavalassiens et macoutes et attachés, tous aussi armés les uns que les autres. Cela ne se passera pas sans la création d'une milice forte, armée, suffisamment bien payée pour ne pas être appâtée par le gain facile de la drogue et de la contrebande. Cela passe aussi par une conscientisation du peuple petit et bourgeois. "Haï-tien, signifie qui hait les tiens" c'est un joli mot, Haïti en regorge, mais cela ne peut pas être vrai pour "tout de bon". O mon pays! Mon hyménée! mon île au loin, ma désirade!

Il y a des résistants en Haïti, des gens qui bizarrement aiment encore ce coin de terre. Qui ne veulent pas le quitter, lors même qu'ils en ont les moyens. Ils ne sont ni "macoutes", ni "attachés", ils ne sont même pas armés, et n'entendent être le Lacombe-Lucien de personne. Ils vont tant bien que mal à l'école ou à la fac, quand elle fonctionne, ils voient tuer leur copain de seize ans parce qu'on n'a pas aimé sa tête ou mieux qu'il a regardé de façon déplaisante le premier venu armé. Quand les Haïtiens s'en prennent aux "blan", il ne s'agit pas des étrangers de race blanche, mais bien des blancs de l'ONU. Il y a des blancs dans les campagnes ou dans les villes qui ne sont pas inquiétés. Dire qu'il y a une opposition blancs-étrangers/noirs-haïtiens c'est faire ce que l'on appelle en Haïti (sauf son respect) du Paris-Match, du sensationnel. Jean-Bertrand Aristide a autant de riches mulâtres ou noirs à le soutenir qu'à ne pas souhaiter son retour. Autant de pauvres à craindre son retour, qu'à l'espérer. Comme il leur est de plus en plus difficile de travailler les organisations étrangères partent du pays, mais ce n'est pas une histoire de chasse aux blancs. Nous ne sommes plus en 1804. Rien ne rend plus mauvais que l'isolement, le bannissement. Un prisonnier qui n'a plus rien à perdre se transforme en fauve, il en est de même d'un pays. Un dirigeant Haïtien quel qu'il soit est prêt à tout pour serrer la pince des grands maîtres du monde. Rien que pour être reçu à leur table, comme un fan qui pose avec ses vedettes. Moyennant cette photo dédicacée, cette reconnaissance, on peut leur extorquer une meilleure gestion, rapide, visible, de la situation. Il ne me viendrait pas à l'idée de demander à mes "amis" de brûler ma maison où mon frère s'est enfermé avec ma mère et le reste de la famille, pour le contraindre à m'en rende les clés.

Le "macoutisme" c'est un état d'esprit en Haïti, c'est la loi du plus fort. (Mon camion ne respecte pas le feu rouge et écrase ta voiture, qui écrase ta moto, qui écrase ta bicyclette). Duvalier père n'a pas inventé cet esprit en 57, il s'est contenté de l'exploiter. La structure macoute de l'esprit haïtien c'est du fascisme, ni plus ni moins. Du fascisme sans la question juive. Chez "lavalas" on a le même esprit. En plus le désir de vengeance propre à tout être humain. Le nom du mouvement (lavalas c'est le torrent, le fleuve en crue qui emporte tout sur son passage) dit tout. On fait mieux comme programme. A quand la reconstruction? Tout casser, tout brûler relèvent du culturel en Haïti. Il faut casser les casseurs. (terroriser les terroristes?). Lorsque l'on a été aussi humilié dans sa personne que l'a été le président élu, lors du putsch (tout avait lâché, cela arrive à tout le monde) on ne rentre pas pour pardonner à ses ennemis. Sauf à être un saint. Et les saints hommes au pouvoir nous savons ce que cela donne. Lors même que, fidèle à sa soutane, il lui prendrait une envie de rémission, pourra-t-il empêcher les débordements de ses lieutenants? F. Duvalier avait mis en place un appareil répressif qu'il n'a jamais pu endigué et dont la moindre des exactions lui a été personnellement imputée.

Haïti n'est pas un pays foutu. Il faut l'aider contre son gré. Pour cela c’est à l’homme qu’il revient d’être "total et intégral", pas à l’embargo. Il faut un rassembleur, un président de tous les haïtiens, à qui l'on donnerait les moyens de remonter la pente, quitte à veiller dessus comme du lait sur le feu dans un premier temps. Quand on emprisonne quelqu'un dans notre confiance, il est obligé d'être honnête. Théoriquement du moins. Politiquement c'est autre chose. Mais on peut essayer. Il faut quelqu'un qui fasse preuve d'abnégation, doit-il pour cela accepter le risque d'être réélu. Quand on lui parle des dernières élections, cela fait sourire l'homme de la rue haïtien... Mais pour démocratiques qu'elles furent, ces élections n'en sont pas moins vieilles de deux ans. B. Bhuto a été réélue. Il faudrait réessayer avec Jean-Bertrand Aristide. Un Aristide total et intégral qui demanderait d'abord le rétablissement du commerce international avec son pays, qui s’attellerait vite à la tâche sans perdre des mois en règlements de compte, ou en reconstitution démagogique de repas biblique, un Aristide qui changerait Haïti et réconcilierait les tous Haïtiens, les lobotomiserait de leur fascisme-machisme. Ou alors on rétablit par coup d’état qui est parti par coup d’état, auquel cas on légitime le genre. Ou encore on considère que les haïtiens ne savent qu'élire à vie. Mais puisqu'Aristide a été élu dé-mo-cra-ti-que-ment, qu'il rentre diriger ce qui restera d'Haïti. Souhaitons-lui bonne chance et espérons qu'il nous surprenne. Autrement on passera son temps à forcer le bouchon et les haïtiens devront se pincer le nez pour boire la coupe de l'occupation jusqu'à la lie. Après tout, on a les gouvernants que l'on mérite. Et comme l'écrivait un journaliste bien inspiré, "Dieu nous garde des gouvernements où il est au pouvoir".



Margaret Cartier
Paris, 30.10.93